Le chauffage par résonance cyclotronique ionique (ICRH) du stellarator Wendelstein 7-X est prêt à l'emploi. Ceci est le résultat d'une étroite collaboration entre le Laboratoire de Physique des Plasmas de l'Ecole Royale Militaire (LPP-ERM) à Bruxelles, le Forschungszentrum Jülich (FZJ) et l'Institut Max-Planck de Physique des Plasmas à Greifswald (IPP), tous deux en Allemagne.
"Cette technologie utilisée de longue date donnera vie au nouveau système de chauffage du Wendelstein 7-X", explique Johannes-Peter Kallmeyer, responsable du chauffage par résonance cyclotronique ionique à l'IPP. Deux émetteurs dotés des tubes électroniques les plus puissants au monde génèrent des ondes radio dans la gamme des ondes courtes entre 25 et 38 MHz, avec une puissance combinée pouvant atteindre 4 millions de watts. Ils atteignent l'antenne dans la salle du tore via de grandes lignes de transmission en cuivre. Là, la nouvelle antenne rayonnera les ondes radio dans le plasma. Ce système sera mis en service début 2022 pour être utilisé lors de la prochaine campagne expérimentale.
La partie centrale qui rend ce système si unique est une antenne de 380 kg avec une structure de support de 4,7 tonnes. Ce système est parvenu à Greifswald le 10 août 2021. Lors de l’installation dans Wendelstein 7-X, l'antenne a été alignée avec une précision d'environ 1 mm, pour éviter qu’elle n'entre en contact avec quoi que ce soit lors du mouvement dans le port d'entrée du tore. "Il n'est pas question de se mettre au travail avec une hâte et une force excessives. Patience et précision étaient de mise ici", décrit le Dr. Jozef Ongena, directeur de recherche du LPP-ERM/KMS et chef de projet de l'antenne ICRH.
Après cela, les lignes de transmission de 96 mètres de long, qui relient les deux émetteurs à l'antenne dans la salle du tore, devaient être achevées. De plus, toutes sortes d'équipements et diverses armoires de contrôle ont été construits pour calibrer les lignes de transmission et assurer le bon fonctionnement du système ICRH.
Un concept d'antenne révolutionnaire conçu dans l’ERM
L'antenne ICRH se compose de deux conducteurs électriques verticaux de 75 cm de long qui peuvent émettre des ondes avec un rapport de phase arbitraire. Ces conducteurs électriques, « straps » dans le jargon, sont gainés de cuivre. Leur surface est parfaitement adaptée à l'une des configurations plasma possibles dans Wendelstein 7-X, et est donc courbée dans les 3 dimensions spatiales. Sa fabrication n'a été possible qu'avec les outils numériques les plus modernes. Ces "straps" sont logés dans un boîtier métallique et placés un centimètre en retrait pour éviter une interaction directe avec le plasma chaud. Pour les autres configurations magnétiques de dimensions inférieures ou supérieures, l'antenne peut être déplacée horizontalement de 35 centimètres.
Cependant, les ondes électromagnétiques émises par l'antenne ne peuvent pas se propager dans le vide ou dans un plasma trop "mince". Par conséquent, un système d'injection de gaz hydrogène a été installé en plusieurs points dans le boîtier de l'antenne. Si la distance entre l'antenne et le plasma est trop grande à certains endroits, on peut y injecter localement du gaz qui s'ionise alors et crée un plasma suffisamment dense. On peut ainsi assurer la propagation des ondes vers le plasma. Ceci est d'une grande importance pour optimiser la puissance radiofréquence rayonnée par l'antenne dans le plasma.
L'antenne a été construite et testée au centre de recherche de Jülich, sous la direction du Dr. Bernd Schweer. Ce centre a de nombreuses années d'expérience et dispose des équipements les plus modernes pour la construction d'instruments de cette qualité. De plus, le centre collabore étroitement avec des fournisseurs de premier ordre. Comme toutes les autres personnes impliquées, ils ont également dû innover pour rendre possible la construction de l'antenne.
Outre l'antenne et une partie des lignes de transmission, les deux émetteurs proviennent également du Forschungszentrum Jülich, où ils ont été construits à l'époque par le LPP/ERM-KMS pour être utilisés sur le célèbre tokamak TEXTOR. Jusqu'à la fin de 2013, les matériaux des parois des futures installations de fusion étaient testés dans ce tokamak. Les émetteurs et les lignes de transmission qui étaient auparavant utilisés dans TEXTOR reçoivent ainsi une « seconde vie » pour Wendelstein 7-X. Cela présente des avantages et des inconvénients, comme l'explique Johannes-Peter Kallmeyer : "D'une part, les nouvelles technologies pourraient offrir des possibilités complètement nouvelles, mais d'autre part, la technologie des tubes électroniques est robuste et donc très fiable."
Les propriétés techniques et mécaniques de l'antenne ont été dictées par la forme compliquée de la machine Wendelstein 7-X à Greifswald et les configurations de plasma qui s'y trouvent. La taille relativement petite de la passerelle, bien que l'une des plus grandes de Wendelstein 7-X, les formes complètement différentes des nombreuses configurations magnétiques et la charge thermique d'environ 100 kW/m2 nécessitaient un système d'antenne très précis et flexible.
Les premières idées sur l'antenne sont nées lors d'une séance de brainstorming avec le Prof. Michael Van Schoor, directeur du LPP-ERM/KMS, le Dr Jozef Ongena, et les collègues de Greifswald il y a une dizaine d'années. Parce que le LPP-ERM/KMS peut s'appuyer sur une grande expérience des antennes ICRH pour tokamaks, le démarrage a été rapide. "Puis vinrent les questions difficiles du Dr Dirk Hartmann et du Prof. Robert Wolf", se souvient le Dr. Ongena . À quelle haute densité l'ICRH peut-il être utilisé ? Est-il possible de générer suffisamment de particules rapides avec ce système ? Quelle puissance peut être rayonnée dans le plasma ? Les physiciens théoriciens du LPP/ERM-KMS ont étudié ces questions et d'autres en détails et ont conclu qu'un système ICRH bien planifié peut répondre aux exigences de l'équipe Wendelstein 7-X. Cela a finalement conduit à un système ICRH qui peut être utilisé de différentes manières.
Au début un système de chauffage « de reserve »…
Avant la mise en service de Wendelstein 7-X, il n'était pas clair si les intensités de champ magnétique prévues pouvaient réellement être atteintes sur cette machine de fusion compliquée. Le système de chauffage principal de Wendelstein 7-X est le système de chauffage par résonance cyclotronique électronique (ECRH) qui fonctionne à la fréquence fixe de 140 GHz, dans la gamme des micro-ondes, avec une puissance maximale de 10 millions de watts. Ce système ne fonctionne de manière optimale qu'à l'intensité de champ magnétique élevée prévue. ICRH est beaucoup plus flexible et permet en principe de chauffer les plasmas en Wendelstein 7-X même sans ECRH.
Un autre problème est qu'à des densités de particules élevées dans le plasma, le fonctionnement de l'ECRH devient plus difficile, car des détails spécifiques de la méthode de chauffage doivent être modifiés, ce qui réduit son efficacité. Cependant, ces densités élevées sont nécessaires pour des expériences cruciales sur Wendelstein 7-X. ICRH est un complément très important pour un bon fonctionnement dans de telles conditions.
... pour devenir finalement un outil de recherche polyvalent ...
En plus du chauffage pur, ICRH offre d'autres options intéressantes. "Pour la recherche expérimentale, il est important d'avoir différentes options. ICRH permet de modifier le système de chauffage et ainsi de mieux comprendre l'effet sur le plasma », explique le Dr Dirk Hartmann. De plus, ICRH peut être utilisé pour générer des ions énergétiques qui se comportent de la même manière que les particules d'hélium rapides. Ces particules d'hélium sont produites lors des réactions de fusion et seront utilisées dans les futures réacteurs de fusion pour maintenir la haute température du plasma. Il est donc important de comprendre leur comportement. A l’aide des ions rapides générés avec le système ICRH, les trajectoires des particules et les modèles d'interaction peuvent être étudiés, après quoi des conclusions peuvent être tirées sur le comportement des particules d'hélium et leur confinement dans un futur réacteur de fusion.
L'étude des orbites des ions rapides est aussi un moyen de vérifier l'optimisation de Wendelstein 7-X. "Si vous utilisez simplement un stellarator basé sur les premiers principes, cela ne fonctionnera pas car les particules quittent le plasma trop facilement", explique le Dr. Ongena. Une première optimisation pour un meilleur confinement des particules a été testée dans le passé avec le petit stellarator Wendelstein 7-AS à l'Institut Max-Planck de Physique des Plasmas à Garching bei München. Wendelstein 7-X a un champ magnétique encore plus optimisé. Son effet sur les trajectoires des particules peut être étudié en détail avec l'ICRH.
Les émetteurs d'ondes radio du système ICRH offrent un autre avantage: la fréquence des ondes peut être changée très facilement. Ce n'est pas le cas du système ECRH avec sa fréquence fixe. En conséquence, des ondes peuvent être rayonnées qui résonnent avec des ions différents des ions hydrogène. Cela peut également chauffer les ions des contaminants et les inciter à quitter le plasma. "Cela pourrait aller si loin", explique le Dr. Dirk Hartmann explique "qu'une dose homéopathique d'ICRH est suffisante pour influencer positivement le plasma dans une mesure très importante".
… afin d’arriver à de nouvelles perspectives dans la recherche internationale sur la fusion nucléaire
"Ce sont de nouvelles techniques qui n'ont jamais été essayées sur un stellarator", résume le Dr. Jozef Ongena. "Nous voulons voir si ces méthodes, qui devraient fonctionner en théorie, tiennent également leurs promesses en pratique. Et bien sûr, nous voulons rayonner la puissance de chauffage maximale dans le plasma afin qu'il y ait suffisamment de particules rapides au centre de la machine, ce qui est important pour les tests essentiels de la configuration optimisée du champ magnétique de Wendelstein 7-X."
Cela montre également clairement où se situent les espoirs du projet ICRH. Il ne s'agit pas seulement de réussir le chauffage avec l'ICRH, mais aussi les effets positifs sur le confinement magnétique des particules de plasma. Les partenaires participants IPP, Forschungszentrum Jülich et LPP/ERM-KMS veulent faire progresser la recherche sur la fusion dans son ensemble. "Une bonne collaboration entre toutes les personnes impliquées produit toujours les meilleurs résultats", déclare le Dr. Ongena. Une fois que les ondes radio atteignent l'antenne à travers les lignes de transmission en cuivre, de nouvelles découvertes scientifiques nous attendent bientôt.
Source: Article de IMPULSE nr 4/21 - titre: "Präzise geplante Antenne eröffnet neue Möglichkeiten" - Librement traduit de l'allemand par Jef Ongena.
Image principale : L'équipe de montage après l'installation réussie de l'antenne à Greifswald. De gauche à droite : Matthias Stern et Peter Kallmeyer (IPP), Jef Ongena et Yevgen Kazakov (LPP-ERM/ERM), Noah Richter et David Castaño-Bardawill (FZJ), Bernd Schweer (LPP-ERM/ERM).