Le département de français est l’une des cinq entités du Centre linguistique (CLng) de l’École Royale Militaire. Il compte huit enseignants, tous romanistes (dont trois sont militaires), chargés d’enseigner le français première et seconde langue à tous les officiers de la Défense, depuis leur entrée à l’armée jusqu’à la fin de leur carrière (pour certains) lors de leur examen de connaissance approfondie. La mission principale du CLng est de préparer les élèves aux différents examens linguistiques statutaires que tout officier doit réussir pour pouvoir progresser dans son parcours militaire. Par ailleurs, le département assume les cours de première langue aux élèves de l’École royale militaire, afin d’aider chacun à s’exprimer clairement et correctement dans sa langue maternelle et ce, aussi bien oralement qu’à l’écrit. Ajoutons à cela qu’une charge supplémentaire lui est impartie depuis quelques années : donner cours aux nombreux élèves internationaux de l’ERM. À ces différentes tâches s’ajoute la participation aux jurys d’examens linguistiques, participation qui implique la rédaction de textes et de questions destinés aux épreuves écrites et orales, comme celles du Concours d’admission ou des examens linguistiques statutaires. Les répétiteurs militaires ont aussi, ponctuellement, plusieurs obligations telles que, entre autres, assister aux différentes délibérations en tant que secrétaires, commenter certaines parades, participer aux différents salons d’étudiants, assurer le rôle d’officier de permanence...
Toutes les tâches “linguistiques” énumérées ci-dessus sont réalisées en équipe, chacun recevant une partie du travail à réaliser. Notre cheval de bataille repose en grande partie sur les interactions formatrices, non seulement celles entre l’élève et le professeur, mais aussi celles entre l’élève et ses condisciples. Tout l’intérêt de cette méthode est que l’apprenant doit constamment s’adapter à son interlocuteur/auditoire et élaborer une stratégie dans laquelle interviennent, outre ses connaissances, le savoir-être et le savoir-faire. Cette période de confinement nous a évidemment obligés à revoir notre manière de fonctionner. Comment assumer cette multitude de tâches sans contacts ? Comment nous concerter, comment communiquer avec les élèves de l’École, mais aussi avec les officiers en unité pour les cours de formation continuée destinés aux sous-lieutenants, capitaines, commandants, majors et colonels ? D’un apprentissage actif, il nous fallait passer rapidement à un apprentissage interactif !
La première étape fut de créer de nouveaux canaux de communication dans le département. Pour cela, un moyen simple fut utilisé : créer sur le site Onedrive des fichiers partagés, c’est-à-dire accessibles aux huit professeurs et modifiables simultanément par chacun. Un fichier Excel reprenant tous les noms de nos élèves fut créé, permettant à chaque enseignant de noter les points donnés lors des tests ou des exercices. Ensuite, chaque professeur s’est vu confier un certain nombre d’élèves avec qui il devait prendre contact afin de les interroger et de les aider à progresser à l’oral et à l’écrit. L’organisation des cours a été relativement vite mise en place grâce au programme détaillé qui avait été distribué aux élèves au début du semestre. Ce programme a toutefois dû être (légèrement) modifié en tenant compte des nouvelles conditions d’enseignement. Comme les élèves disposaient déjà de syllabus, la procédure a été facilitée. Professeurs et élèves savaient donc ce qu’ils devaient voir comme matière pour chaque heure de cours de français.
Enfin, afin de faciliter l’accès à la documentation du cours, la plateforme de cours à distance de la Défense, BelADL fut utilisée. Les élèves ont pu y télécharger les syllabus, les fichiers MP3 des exercices oraux ainsi que les reportages vidéo (soit sous la forme de liens YouTube, soit sous la forme de fichiers MP4). De même, sur BelADL, les élèves ont reçu les instructions précises sur la matière à connaître pour les tests, ainsi que des informations importantes, comme les décisions prises par la direction des études (DEAO) concernant l’évaluation des cours de langues.
La plus grande difficulté était de conserver une communication de qualité à tous les niveaux. Notre première idée fut de nous tourner vers Skype for Business, une application de communication et d’échange d’informations par téléphone et par vidéo. Cet outil offre aux professeurs et aux apprenants la possibilité de se voir et de percevoir les mouvements, les réactions et le regard l’un de l’autre, ce qui est indispensable dans un cours de langue. Malheureusement, au début de la période de confinement, certains élèves ne disposaient pas de l’application. Il a donc fallu trouver un autre moyen de communiquer. L’idée fut d’utiliser l’application Whatsapp, bien connue de nos élèves. Un groupe Whatsapp a été créé par promotion permettant de transmettre de courts messages à chacun et de trouver également une solution de rechange lorsque Skype for Business défaillait.
Restait à trouver une application pour rassembler en vidéoconférence un groupe complet d’élèves d’une promotion afin de pouvoir donner des explications, corriger des exercices ou débattre d’un sujet tous ensemble. La première tentative fut d’utiliser Skype for Business, mais le nombre d’élèves impliqués a vite démontré les limites de l’application. Il fallait trouver une alternative et, le bouche-à-oreille aidant, j’ai téléchargé l’application appelée ZOOM US. Il s’agit d’un outil très performant : il permet de réunir en vidéoconférence jusqu’à 100 personnes et de profiter de nombreux outils tels que le partage d’un tableau, d’un texte, d’un fichier, mais aussi l’utilisation d’une messagerie permettant à chacun d’écrire de courts messages. Lors d’une réunion “test” avec le département, nous avons trouvé l’expérience concluante. L’image et le son étaient de qualité HD et, de l’avis général, bien plus stables que Skype for Business. Son atout majeur est de supporter un grand nombre de participants et ce, même sans invitation préalable. Les interventions sont simples. Cette séance a permis à plusieurs membres du département de découvrir l’outil et de décider de l’utiliser à leur tour pour leurs élèves. La procédure d’utilisation est, en effet, très simple : il suffit de s’inscrire sur la plateforme et d’organiser une réunion. L’application propose alors de copier un lien contenant une carte d’invitation qu’il suffit d’envoyer par courriel aux membres du groupe. La plus grande prudence reste cependant de mise : un site attentif au respect de la vie privée conseille vivement, d’une part, de ne pas s’inscrire en utilisant un compte Facebook ou Google afin de préserver la confidentialité de ses données personnelles et, d’autre part, de ne pas utiliser de smartphone pour éviter que l’application n’enregistre toutes les données personnelles.
Une dernière difficulté devait encore être surmontée : l’organisation à distance des interrogations orales et écrites comptant pour les points de l’année. Pour l’oral, la solution était toute trouvée : utiliser soit Skype, soit Whatsapp, mais pour l’écrit, comment éviter que les élèves n’utilisent les programmes de correction d’orthographe, les syllabus ou les ressources d’Internet ? De plus, comment les empêcher de communiquer entre eux par Facebook, par exemple, en se transmettant les questions posées par le professeur au test oral ? Un premier essai a montré, par exemple, que les derniers élèves interrogés oralement semblaient répondre plus précisément aux questions posées… Même si cela peut également être vrai “en temps normal”, c’est problématique dans le cas présent au vu des limites interactives et de l’incapacité de “surveillance”. En effet, l’objectif est d’assurer une évaluation valide et équitable pour tous les apprenants. Une solution envisagée fut de demander aux élèves, au début du test, de déposer smartphone, syllabus et notes de cours sur le bout de leur table hors de leur portée et de le vérifier en leur demandant de filmer leur bureau.
Passer si brusquement de l’enseignement traditionnel à l’enseignement à distance nous force à être créatifs, à améliorer la collaboration entre nous, à expérimenter de nouvelles méthodes d’apprentissage et probablement à faire preuve de plus d’empathie.
Quant aux interrogations écrites, un outil fourni par la plateforme BelADL offre une solution a priori fiable : il s’agit de la possibilité de créer un examen au cours duquel l’application occupe tout l’écran et bloque tout accès à Internet ou aux ressources de l’ordinateur. De plus, le temps de réponse à chaque question ainsi qu’à l’ensemble du test peut être limité, ce qui empêche la consultation d’un syllabus ou d’autres documents. Ajoutons que les consignes données doivent être très claires et que la plupart de nos élèves, futurs officiers, ont à cœur de respecter les ordres donnés, conscients des risques qu’ils courent s’ils ne respectent pas les règles. Le premier test écrit s’est bien déroulé : les 60 élèves ont reçu au début de l’épreuve le mot de passe leur permettant de répondre aux 147 questions du test. Comme tous étaient également rassemblés en vidéoconférence, les petits problèmes techniques ont pu être résolus immédiatement, durant le test.
Passer si brusquement de l’enseignement traditionnel à l’enseignement à distance nous force à être créatifs, à améliorer la collaboration entre nous, à expérimenter de nouvelles méthodes d’apprentissage et probablement à faire preuve de plus d’empathie. Vu le nombre important d’élèves pris en charge, cette conversion nous a imposé une charge de travail beaucoup plus importante qu’auparavant. Certains week-ends ont dû, par exemple, être consacrés à la correction des textes envoyés par les élèves. De même, la réalisation informatique des examens écrits requiert énormément de temps et d’énergie. Mais la récompense de ces efforts est palpable lorsque nous pouvons rassembler nos groupes d’élèves en direct et dialoguer avec eux. Ils nous disent également combien ces moments de contacts sont importants pour eux en cette période de confinement. L'élève peut apprendre seul, c’est une certitude et, dans le contexte actuel, il est bousculé dans sa routine. C’est probablement une bonne chose, car, lui aussi, va mettre en place de nouvelles stratégies pour réussir. L’intervention de l’enseignant reste primordiale pour contrôler l’avancée et la progression de l’étude de l’élève. L’apprentissage numérique est un défi que nous relevons de notre mieux !
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