Šuolis parašiutu

« Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d'autrui », comme disait déjà Montaigne. A peine revenus de notre camp d’hiver, où le froid et la neige régissaient les forêts conifères d’Elsenborn, les dernières traces de camouflage encore sous les ongles, la fatigue encore affichée au visage, nous montions à bord de l’avion qui allait nous amener à notre future école pour les cinq mois à venir : la Generolo Jono Žemaičio Lietuvos karo akademija, située à Vilnius, en Lituanie.

Après une quarantaine obligatoire de dix jours, les premiers liens d’amitié se tissaient de manière naturelle, que ce soit dans le mess, dans la salle de fitness ou encore en étant initié par nos colocataires au sauna, qui s’avère fort utile après avoir passé une journée dehors où le froid fait descendre le thermomètre jusqu’à moins vingt degrés.

Outre de suivre des cours académiques intéressants, où nous discutons avec nos collègues lituaniens et polonais sur les nouvelles menaces limitrophes à l’OTAN, nous avons eu l’occasion de participer à différents exercices militaires. Si au mois de mars nous étions partis sur stand de tir, avec les élèves de première année, pour tirer avec le G-36, l’arme d’assaut de l’armée lituanienne, et le rocket-launcher Carl Gustaf, ainsi que pour suivre une initiation aux explosifs, le mois d’avril allait réserver une aventure de taille : un saut en parachute (šuolis parašiutu) ! 
Bien que nous ne fussions plus de véritables novices dans cette discipline, cette semaine constituera sans aucun doute un souvenir que chaque participant chérira particulièrement. Le cours débutait avec une initiation théorique, expliquant les particularités du parachute américain MC1-D, les différentes sources de danger potentielles et les drills à exécuter après chaque commande donnée par un des jumpmasters. Cette révision des notions élémentaires, telles que la position de saut, nous rappelait nos premières leçons à Schaffen, où nous avions défié, en première année, tous les obstacles pour passer le B-Para. Le lendemain, il était temps de passer de la théorie à la pratique, avec au programme, rolling sous la neige, vérification et préparation du matériel, pliage sommaire de la coupole ainsi qu’une répétition des drills d’urgence en cas de twist, d’un atterrissage dans l’eau, sur des câbles de haute tension ou encore en forêt. 

Le jeudi 08 avril, les choses sérieuses commencent avec le départ vers la Šiauliai Air Base. Après une brève répétition des drills élémentaires sous les tonnerres impressionnants des F-16, maîtres du ciel, nous nous familiarisions avec cette énorme bête qui allait nous déposer à mille pieds au-dessus de la DZ : le C27-J Spartan.  Le peloton, constitué des élèves de quatrième année et des élèves ERASMUS+, était alors réparti en deux groupes de vingt-quatre, respectivement. La tension montait lorsque nous préparions notre matériel et endossions les parachutes, dont le poids commençait à tirer sur nos épaules pendant que nous attendions notre tour.

Une fois montés à bord, nous voguions en silence sous les secousses de l’avion, les yeux à demi-fermés, devenant de plus en plus impatients. Lorsque les loadmasters ouvraient la porte de sortie, le courant d’air nous giflait le visage et nous entendions enfin la célèbre commande « Stand Up ! Hook Up ! ». Sous les yeux vigilants des jumpmasters, nous vérifions une dernière fois notre matériel avant que l’un après l’autre fasse un grand pas en avant, dans le vide, pour disparaître aussitôt, laissant derrière lui seulement la static line qui tremblait dans le vent.

331, 332, 333… et la coupole se déploie au-dessus de nos têtes. Cette première sortie d'un avion de transport nous a coupé le souffle : c'était très "façon Easy Company", beaucoup plus violent que nos sauts précédents à partir du ballon à Schaffen, mais surtout dix fois plus excitant ! Lorsque les derniers champignons des coupoles atterrissaient dans la lumière rougeâtre du soleil couchant, chacun souriait d’une oreille à l’autre. Faisant partie du dernier stick, nous pouvions sauter tout en profitant du magnifique coucher du soleil qui s'offrait à nous.

La journée se clôturait avec la remise de nos wings et un rite de passage particulier : après avoir rangé tout le matériel, le peloton a dû ouvrir les rangs pour qu'un des jumpmasters puisse nous botter le cul avec un parachute de réserve. D'après la tradition, ceci devrait porter bonheur et faire en sorte que tous nos futurs sauts se passent bien et que personne ne tombe sur ses fesses en atterrissant.

Lorsque nous sommes rentrés vers minuit, nous avons fêté notre petite aventure chez les paras avec un bon hamburger, commandé avec les Lituaniens pendant les trois heures de retour en bus vers l’école. Fatigués, mais tout contents, nous partagions nos expériences, nos sentiments et impressions et nous nous disions bien que nous venions de vivre une expérience unique.